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Digital MedTech

Briganti : « La Belgique s’érige en véritable pionnier de formation des médecins à l’IA »

L’intelligence artificielle va bouleverser les soins de santé. Pour contribuer à concrétiser ce futur, il est crucial pour les médecins de comprendre l’IA. C’est en ce sens que le Dr Giovanni Briganti a créé la chaire « Intelligence artificielle et médecine digitale » à l’Université de Mons pour l’année académique 2022-2023, avec le soutien de Reflexion Medical Network.

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Steven Vandeput
April 19, 2024
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Durant l’année académique dernière, la Belgique a été l’un des premiers pays du monde à intégrer un cours obligatoire sur l’intelligence artificielle (IA) dans le cursus de médecine, et ce à l’Université de Mons (UMons), ce qui a enclenché une véritable « dynamique pour l’enseignement de l’IA en médecine » dans notre pays, explique le Dr Giovanni Briganti, titulaire de la chaire « Intelligence artificielle et médecine digitale» à l’UMons.

Docteur Briganti, le lancement de la chaire à l’UMons remonte à l’année académique dernière. Quel regard portez-vous sur cette période ?

« L’introduction de l’IA dans le programme d’études était une évidence pour moi. Les statistiques et l’épidémiologie constituent depuis longtemps l’épine dorsale de la médecine factuelle. Les concepts de l’IA sont une extension de ces principes statistiques, mais appliquée d’une manière plus avancée et automatisée. »

« Jusqu’il y a peu, de nombreux médecins et universitaires étaient pourtant convaincus qu’un médecin n’était pas apte à devenir un “praticien de l’IA”. Heureusement, grâce à l’entrée en scène fracassante de ChatGPT, entre autres, les médecins ont pris conscience qu’ils ne pouvaient et ne devaient pas rester à la traîne. La Belgique s’érige désormais en pionnier de la formation des médecins à l’IA. »

« Le lancement de la chaire à Mons, avec le soutien du groupe de presse Reflexion Medical Network, a fait des émules dans plusieurs autres universités belges. En Fédération Wallonie-Bruxelles, Liège (ULiège), Louvain-la-Neuve (UCL) et Bruxelles (ULB) ont également accordé une place à l’IA dans le cursus de médecine. Je m’en réjouis ! »

Pourquoi jugez-vous si important que les jeunes médecins soient formés à l’IA ?

« Une exposition précoce à l’IA permet aux étudiants en médecine d’acquérir une compréhension approfondie du fonctionnement de ces technologies. Ils sont alors mieux à même de porter un regard critique sur les outils d’IA et leurs applications en milieu clinique. »

« Ce regard éclairé est crucial à l’heure où l’IA est de plus en plus utilisée dans les soins de santé, notamment pour l’aide au diagnostic, la planification du traitement et le suivi des patients. »

« Les futurs médecins doivent être en mesure de contribuer à la transformation numérique de notre système de soins de santé. »

« Les futurs médecins ne doivent pas devenir de simples “utilisateurs” de ces nouveaux outils. Leur responsabilité va bien au-delà. Ils doivent être en mesure d’évaluer la qualité des technologies. Ils doivent pouvoir promouvoir leur mise en œuvre pertinente, efficace et éthique sur le terrain. Et ils doivent pouvoir contribuer à orienter le développement de nouveaux outils d’IA dans la bonne direction afin de maximiser l’impact de l’innovation pour les patients. »

« Autrement dit, en plus d’être des cliniciens compétents, ils doivent devenir les chefs d’orchestre de la transformation numérique que connaît notre système de soins de santé. »

Tout un programme… Comment préparer les étudiants à assumer une telle responsabilité ?

« Grâce à un enseignement méthodologique, qui a le mérite de plonger les étudiants au cœur de l’IA pour en découvrir les avantages et les limites. Il est essentiel de comprendre ces contraintes. Je ne parle pas ici des mises en garde classiques qui font la une des médias, mais bien des limites en termes de performance des modèles, des biais inhérents aux données, ainsi que des concepts tels que la transparence algorithmique ou encore les considérations légales, éthiques et déontologiques. »

« Les étudiants apprennent à comprendre l’importance d’ensembles de données diversifiés et inclusifs dans le développement d’outils d’IA. »

« En analysant minutieusement ces limites, nous incitons les étudiants à adopter un regard critique et un réflexe d’innovation : comment surmonter les défis ? Les étudiants apprennent par exemple à identifier les biais dans les données de formation et à comprendre l’importance d’ensembles de données diversifiés et inclusifs dans le développement d’outils d’IA efficaces. Cette expérience leur servira dans le cadre de leurs futures fonctions, quelles qu’elles soient. »

Quels rôles envisagez-vous pour les médecins à l’avenir ?

Briganti UMons

« D’après moi, l’un des rôles clés sera celui de “traducteur” entre les communautés médicales et technologiques. Une formation en IA sera un énorme atout pour les médecins et les autres prestataires de soins. Pourquoi ? Car ils connaîtront les besoins et les contraintes cliniques et pourront les “traduire” à l’intention des technologues, afin que ceux-ci puissent développer des outils adaptés au contexte clinique. »

« À l’inverse, ils comprendront le fonctionnement de l’IA et sauront ce que permettent ou non les outils d’IA. En partageant ces connaissances, ils feront en sorte que leurs confrères médecins et les autres prestataires de soins non formés ou moins formés à l’IA aient des attentes réalistes et puissent prendre des décisions éclairées. »

« En associant des connaissances médicales et technologiques, les futurs médecins joueront un rôle crucial pour les décideurs politiques. »

« Ils pourront jouer ce même rôle de lien avec le monde politique. En associant leur formation médicale à des connaissances approfondies de l’IA, ils constitueront un interlocuteur idéal pour les décideurs politiques. Ils pourront par exemple apporter un point de vue précieux sur la confidentialité des données de santé, la performance des algorithmes, la transparence algorithmique… en veillant ainsi à ce que le déploiement de l’IA soit fondé sur les réalités cliniques et centré sur le patient. »