Interview
Digital MedTech

« L’utilisateur mérite de savoir si une application a obtenu un A ou un C »

Il existe des milliers d’applications de santé et de bien-être. Vous en avez peut-être une sur votre smartphone. Mais leur qualité varie énormément : des outils d’excellente qualité côtoient des applications franchement dangereuses. Pour votre santé, vos données ou les deux.

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Steven Vandeput
September 11, 2023
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C’est pour remédier au problème que le projet européen Label2Enable a vu le jour, explique Petra Hoogendoorn (Pays-Bas), experte principale dans le cadre de la norme CEN-ISO/TS 82304-2 relative à l’évaluation et à l’étiquetage normalisés des applications de santé. Petra coordonne le projet Label2Enable depuis le National eHealth Living Lab du centre médical universitaire de Leyde.

Petra Hoogendoorn

« Le label se concentre sur quatre éléments : la santé, la convivialité, la protection des données et la technique. Une app se voit attribuer une note de A à E dans ces domaines, ainsi qu’une note globale. Le rapport détaillé est censé aider les professionnels de la santé à déterminer s’ils doivent ou non recommander l’app à leurs patients. »

Une référence pour les pouvoirs publics et les assureurs

Le label ne profite pas seulement aux consommateurs, aux patients et aux prestataires de soins de santé, précise Petra. « Les critères indiquent clairement aux développeurs d’applications ce à quoi ils doivent prêter attention. De leur côté, les pouvoirs publics et les organismes d’assurance maladie ont un outil de référence sur lequel ils peuvent se baser pour décider de financer ou non l’utilisation de certaines apps. Bref, tout le monde gagne à savoir quelles apps tiennent la route ou pas. »

Label2Enable concerne, d’une part, les applications médicales utilisées dans le cadre du traitement prescrit par un prestataire de soins et, d’autre part, les apps de santé que vous utilisez de votre propre chef.

Plusieurs États membres de l’Union européenne ont déjà mis en place des initiatives destinées à évaluer la qualité des apps médicales. Le label européen ne va-t-il pas interférer ?

« La Commission européenne entend créer un marché numérique unique. Si vous avez la possibilité de tester les apps de manière centralisée plutôt que dans chaque pays individuellement, vous vous épargnez bien du travail », explique Petra.

« Nous sommes en train d’affiner nos méthodes de test : nous nous basons sur la législation européenne, la normalisation, la science et les pratiques courantes en Europe pour définir les méthodes de test et déterminer ce qui constitue une preuve concluante, l’objectif étant de garantir des résultats univoques, peu importe qui a testé l’app et où. »

Un juste milieu

« Pour gagner la confiance, nous devons exclure toute dimension arbitraire. Nous cherchons donc un juste milieu en ce qui concerne les tests auxquels chaque app doit être soumise : il n’en faut pas trop, car vous risqueriez de perdre du temps, de l’argent et des possibilités d’évolutivité. Mais il n’en faut pas trop peu non plus, sinon personne ne fera confiance à votre label et il ne sera pas utilisé : une sérieuse perte de temps et d’argent ! »

Le label comprend actuellement 81 exigences de qualité, dont 67 ont un impact sur la note. « Nous demandons des preuves au développeur pour chacune de ces exigences et nous les évaluons de manière presque mathématique : celle-ci est satisfaisante, celle-ci ne l’est pas. Nous sommes donc cohérents vis-à-vis des concepteurs d’applications et pouvons leur indiquer clairement à l’avance ce que nous attendons d’eux, afin de leur éviter toute surprise », explique Petra.

Elle continue, « nous travaillons actuellement avec des organismes d’évaluation au Canada, en France, en Italie, aux Pays-Bas et en Espagne. Nous souhaitons qu’à terme, des organisations puissent tester les apps selon la norme 82304-2 dans davantage de pays, avec un organe central pour délivrer le label. Nous ne pouvons rien imposer, mais nous aimerions que les app stores d’Apple et de Google affichent aussi la note du label. Nous avons des contacts avec eux en ce sens. »

Le label énergétique européenne

Petra cite l’exemple du label énergétique européen : une franche réussite.

« Il a suscité la conception d’appareils beaucoup moins énergivores, ce qui a considérablement fait baisser la consommation d’énergie. Chaque ménage européen a économisé 210 euros par an. Et 324 000 nouveaux emplois ont été créés. Le label énergétique est, par ailleurs, utilisé dans 59 pays hors Europe. Nous avons là les bases d’une norme qu’on pourrait presque qualifier de mondiale. »

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Le label « digital health » (il n’a pas encore de nom définitif) sera-t-il un jour obligatoire ? « Le secteur des soins de santé fait face à une pénurie de personnel qui ne cesse de s’aggraver », explique Petra. « L’utilisation ciblée de technologies telles que les apps de santé pourrait constituer une partie de la solution, à condition que la qualité soit au rendez-vous. C’est là que notre label peut faire la différence. »

Il est pour l’instant question de normalisation, pas d’obligation. Mais on pourrait, à terme, passer au stade de la législation. « L’étiquetage des apps de santé, par exemple, est couvert par le règlement sur l’espace européen des données de santé, en cours d’élaboration. »

Pas obligatoire, mais utile

Puisqu’il n’y a pas (encore) d’obligation, pourquoi un développeur ferait-il tester son application aujourd’hui, peut-être à ses frais ?

« Parce qu’il a beaucoup à y gagner », répond Petra. « Vous montrez objectivement à vos clients ce que vous offrez. Et vous prouvez aux professionnels de la santé qu’ils peuvent recommander votre application en toute sérénité. Vous tirez votre épingle du jeu grâce à la qualité de votre application et à la transparence dont vous faites preuve à son égard. »

Un masque buccal porté aux soins intensifs de Milan est différent d’un masque qu’on porte dans le métro de Rotterdam. Tout est question de contexte, même dans le domaine des apps de santé.

« Le consommateur y accorde-t-il de l’importance ? D’après moi, tout dépend de la situation. Un masque buccal porté aux soins intensifs de Milan est différent d’un masque qu’on porte dans le métro de Rotterdam. Tout est question de contexte, même dans le domaine des apps de santé. Un consommateur exigera un A à un moment donné et se contentera d’un C dans une autre situation. Mais il aura toujours envie de savoir si une app a obtenu un A ou un C. »

Une utilisation en cardiologie ?

Label2Enable organisera prochainement trois tables rondes, la première aura lieu fin septembre. Petra : « Tous les États membres de l’UE sont conviés, y compris la Belgique. Nous comptons sur la participation du gouvernement, du Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) et des organismes d’assurance maladie. La première réunion fera le point sur le remboursement des apps en Europe et sur les défis rencontrés. La deuxième réunion portera sur les solutions et la troisième devrait déboucher sur des recommandations. »

Une attention particulière sera accordée au rôle potentiel de la norme 82304-2 dans le cadre des décisions en matière de remboursement. « Et avec la Société européenne de cardiologie (ESC), je pense que nous avons déjà fait un premier pas sur la voie de l’intégration de certaines apps dans les directives médicales », ajoute Petra.

Une attention particulière sera accordée au rôle potentiel du label dans le cadre des décisions en matière de remboursement.

« L’utilisation d’une app est une intervention de santé : elle doit donc être coulée dans une directive afin que les professionnels de la santé disposent d’un point de repère. Soyons clairs : il ne s’agira pas du nom d’une app spécifique, mais d’une sorte de profil que les apps devront respecter. Il semble que nous puissions utiliser notre label à cette fin. »

Une étape importante consistera à finaliser le système de certification qui permettra de tester les apps de manière standardisée. « Nous examinons également les possibilités de tester automatiquement les apps sur certains critères. Il existe par exemple des outils qui permettent de déterminer si une app présente un contraste suffisant pour les personnes malvoyantes. »

« Si les apps de santé sont légion, elles sont rarement utilisées et prescrites. On s’en méfie ou on ne sait pas laquelle choisir. C’est compréhensible. Le label à lui seul ne résoudra pas complètement le problème, mais il y contribuera grandement. »

Quand fera-t-il son apparition dans les app stores ?

Label2Enable durera encore un an. Le projet suscite un vif intérêt, mais Petra ne souhaite pas encore donner de date pour la mise en œuvre de la norme CEN-ISO/TS 82304-2.

« Il est essentiel que la normalisation des tests et l’harmonisation entre les pays soient au point. Les app stores doivent bien comprendre qu’il s’agit d’un label, rien d’autre. Nous travaillons également sur la manière d’expliquer clairement le label à tout le monde, y compris aux personnes moins instruites. De quelles informations ont-elles besoin ? Comment les présenter visuellement ? Où les montrer ? »

« De nos jours, le label énergétique ne figure plus uniquement sur les réfrigérateurs et les lave-vaisselle : il est aussi apposé sur les ampoules électriques, les pneus et les maisons. Nous tenons également compte de cet aspect dans le cadre de notre initiative : si nous constatons, à l’avenir, une demande pour les objets connectés, par exemple, nous serons prêts. »

Plus sur Label2Enable

Pour en savoir plus sur Label2Enable, consultez le site web du projet.

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