Anouk Waeytens a été experte en médicaments pour l’Inami pendant de nombreuses années. Cette fonction l’a amenée à se concentrer sur les thérapies personnalisées. Depuis fin 2020, elle est conseillère du ministre fédéral des Affaires sociales et de la Santé publique, Frank Vandenbroucke. À ce titre, elle a participé et participe toujours activement aux différentes initiatives mises en place dans notre pays en matière de companion diagnostics.
Madame Waeytens, pouvez-vous nous expliquer brièvement ce que sont les companion diagnostics (CDx) ?
« Les CDx sont des tests médicaux qui permettent d’évaluer à l’avance l’efficacité d’un médicament chez un patient ou le degré de tolérance du patient à ce médicament. Ces tests se basent sur un ou plusieurs biomarqueurs, soit des caractéristiques qui permettent de prédire l’efficacité d’une thérapie donnée. Si le test montre que vous présentez la bonne caractéristique, le médecin peut entamer le traitement. Dans le cas contraire, il cherche une alternative. »
« Prenons l’exemple du biomarqueur BRAF V600. Il s’agit d’une mutation du gène BRAF, que nous possédons tous. Cette mutation provoque une division cellulaire incontrôlée et est souvent à l’origine du mélanome et du cancer du poumon, entre autres. Il existe des médicaments qui inhibent cette division cellulaire, mais ils ne sont utiles que si le cancer est causé par la mutation BRAF V600. Un test CDx permet de le déterminer à l’avance. »
Quel est le gros avantage ?
« Le principal avantage réside dans le gain de temps pour le patient. Le test réduit le risque que vous entamiez un traitement qui ne fonctionnera pas chez le patient et qui aura, de surcroît, des effets secondaires prévisibles. Ce n’est pas un hasard si les CDx sont jusqu’à présent essentiellement mis en place pour des maladies dans le cadre desquelles la précision et la contrainte de temps jouent un rôle majeur, comme le cancer. »
« L’utilisation des companion diagnostics réduit le risque que vous entamiez un traitement qui ne fonctionnera pas chez le patient ou qui aura des effets secondaires prévisibles. »
« Les tests sont aussi les bienvenus pour l’assurance maladie : nous dépensons moins d’argent du contribuable dans des traitements qui, au final, n’ont aucun effet sur un patient. Autrement dit, les tests permettent d’investir le plus efficacement possible dans la santé des patients. »
Les CDx sont souvent associés au cancer. Qu’en est-il des autres pathologies ?
« Non pas que le cancer soit “plus important” que d’autres maladies, mais il y a dans ce domaine un énorme besoin médical non rencontré : il n’existe pas encore d’option thérapeutique optimale pour de nombreux cancers. Quand il y en a une, la nécessité de chercher une thérapie ciblée est moindre. Autre facteur qui entre en ligne de compte : on en a longtemps su davantage sur le cheminement des cancers que sur celui d’autres maladies, ce qui a permis de mettre au point des traitements personnalisés. »
« Aujourd’hui, la recherche de médicaments personnalisés pour les maladies hormonales, cardiovasculaires, neurodégénératives, immunitaires, etc. s’intensifie. »
Les procédures de remboursement des tests CDx en Belgique n’ont, pendant longtemps, pas été alignées sur celles des traitements personnalisés. Conséquence : le test prédictif risquait d’être remboursé plus tard que la thérapie ciblée. Vous avez tenté de résoudre ce problème au cours de la dernière législature. Où en est-on aujourd’hui ?
« Nous avons lié les procédures de remboursement des thérapies ciblées et des companion diagnostics moléculaires en juillet 2019, afin que le remboursement ait lieu en même temps. Pourquoi se concentrer sur les marqueurs moléculaires ? Parce que c’est là que le besoin était le plus criant à l’époque : de nombreux marqueurs moléculaires étaient remboursés tardivement ou n’étaient pas remboursés. »
« En 2019, nous avons synchronisé le remboursement de 29 substances actives (une substance peut être remboursée pour plusieurs indications) et celui de leurs marqueurs moléculaires. Aujourd’hui, soit cinq ans plus tard, 16 nouvelles substances actives sont déjà venues s’ajouter à la liste. Grâce à ces procédures de remboursement couplées, la thérapie et le marqueur moléculaire sont désormais toujours remboursés en même temps. C’est un énorme progrès ! »
« À partir de 2026, les médicaments pourront être remboursés chez nous dès qu’ils auront reçu l’autorisation de l’EMA. Cela s'appliquere également aux médicaments personnalisés et à leurs biomarqueurs. »
« Faciliter l’accès aux traitements prometteurs était et reste l’une des principales ambitions de notre ministre. En d’autres termes, nous voulons que les patients aient toujours accès aux meilleurs traitements, surtout en cas d’urgence médicale. C’est un chantier sans fin, mais nous avons fait des progrès considérables ces dernières années. »
« Nous avons jeté les bases juridiques d’une nouvelle procédure de remboursement rapide en mai 2024. Les arrêtés d’exécution et le back-office de cette procédure sont en cours d’élaboration. Il s’agit de permettre le remboursement des médicaments dès l’obtention de l’autorisation de l’Agence européenne des médicaments (EMA) à partir du 1er janvier 2026. Grâce à la procédure couplée, ce remboursement rapide pourra également s’appliquer aux médicaments personnalisés et à leurs biomarqueurs. »
« Moins de bruit grâce à l’intelligence artificielle »
L’évolution considérable de l’intelligence artificielle (IA) peut donner et donnera un énorme coup de pouce aux companion diagnostics et aux soins personnalisés au sens large, estime Anouk Waeytens.
« L’IA peut apporter une contribution considérable à la phase R&D de nouveaux tests. De très nombreuses molécules peuvent jouer un rôle dans le cheminement d’une maladie. Trouver les bonnes molécules est un travail de Titan. L’IA peut faciliter la présélection de certains panels et donc permettre de cibler davantage les recherches. Autrement dit : de réduire considérablement le bruit. »
D’après Anouk, l’IA peut aussi intervenir dans l’interprétation des résultats des tests. « L’IA permet de rassembler une foule de données : données cliniques, données sur le mode de vie, données d’imagerie, données anatomopathologiques… Grâce aux liens qu’on peut établir de la sorte, il devient possible de déterminer beaucoup plus précisément quel traitement convient à quel type de patient. »
« Sera-ce simple ? Bien sûr que non. Mais le gouvernement ne doit pas rater le coche. »
En marge de cette procédure de remboursement couplée, vous avez aussi lancé, en 2019, un projet pilote de remboursement des tests de biologie moléculaire par séquençage de nouvelle génération. Quelle importance revêtent-ils dans le cadre des traitements personnalisés ?
« Dans certaines pathologies, il y a un seul biomarqueur pertinent, qu’il est possible de détecter à l’aide d’un test individuel. Dans d’autres maladies, plusieurs marqueurs interviennent. Vous pouvez effectuer un test diagnostique individuel pour chacun de ces marqueurs ou examiner plusieurs marqueurs en même temps au moyen d’un panel : un test de séquençage de nouvelle génération (NGS). »
« Ce genre de test est intéressant pour plusieurs raisons : vous ne devez effectuer qu’un seul test, vous ne prélevez qu’un seul échantillon chez le patient et vous gagnez du temps. Ce test peut, en outre, s’avérer financièrement plus avantageux que si vous deviez réaliser plusieurs tests individuels. »
« En 2019, nous avons lancé un projet pilote dans le contexte de l’hémato-oncologie afin de déterminer comment rembourser les tests NGS. Ces tests font désormais partie de la procédure standard et nous avons mis en place une convention NGS à part entière. Nous l’avons voulue flexible, afin que les nouvelles technologies puissent également être remboursées facilement. »
Des données relatives aux tests prédictifs individuels et aux tests NGS ont toujours été collectées via le registre PITTER. Quel est le rôle de ce registre ?
« En 2019, nous avons lié le remboursement des tests à l’enregistrement obligatoire des résultats des tests par les laboratoires dans le registre PITTER, accessible au public. Il ne s’agit pas d’informations génétiques spécifiques sur les patients, mais d’une interprétation générique. »
« Nous recueillons ainsi des données épidémiologiques sur les marqueurs pour l’ensemble de la Belgique ; une initiative assez unique en Occident. Il y a bien des données issues d’études cliniques, d’universités, etc., à petite échelle. Mais elles sont éparpillées et presque personne ne dispose de données nationales. Notre registre les recueille à présent en Belgique, et tout le monde en profitera. »
« Pratiquement aucun pays ne dispose de données épidémiologiques nationales sur les marqueurs. Avec le registre PITTER, nous les recueillons à présent en Belgique. »
« Nous obtenons des références nationales : les résultats des tests belges correspondent-ils à ce qui est publié au niveau international ? À plus petite échelle, nos laboratoires peuvent comparer leurs résultats à la référence belge : leurs résultats sont-ils conformes aux références nationales ou les laboratoires doivent-ils revoir leurs procédures de test en interne ? Les entreprises ont une meilleure idée du nombre de tests utilisés, du nombre de patients qui présentent telle ou telle mutation, etc. Elles peuvent donc réagir plus efficacement. »
« Et d’un point de vue politique, nous estimons mieux la valeur ajoutée réelle des traitements innovants. De quoi rectifier le tir si nécessaire. »
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Sur quoi devrions-nous concentrer nos efforts en matière de companion diagnostics dans les mois et les années à venir ?
« Nous avons lancé le remboursement couplé des thérapies ciblées et des tests sur les marqueurs moléculaires en 2019, car c’est à ce niveau que les besoins étaient les plus criants. Depuis lors, nous continuons à chercher comment suivre l’évolution, par exemple en étendant les tests prédictifs à d’autres marqueurs : les marqueurs immunohistochimiques, mais aussi les marqueurs que nous détectons grâce à d’autres technologies médicales, comme l’imagerie médicale. »
« Toutes ces nouvelles technologies nécessitent que nous garantissions la qualité par divers moyens : normalisation, standardisation, directives, etc. Un patient pris en charge à Arlon doit avoir les mêmes options qu’un patient soigné à Ostende. »
« L’accent a été mis sur les marqueurs moléculaires durant cette législature. Entre-temps, nous cherchons comment suivre l'évolution, par exemple en étendant le remboursement lié à d'autres marqueurs. »
« Aujourd’hui, la Belgique s’en sort bien en termes d’accès aux traitements personnalisés, mais l’évaluation du projet NGS révèle aussi que tous les patients ne bénéficient pas des tests que la bonne pratique clinique voudrait qu’ils reçoivent. En d’autres termes, les soins personnalisés ne sont pas seulement une question de remboursement, il s’agit aussi de garantir l’encadrement et l’expertise nécessaires au sein des équipes soignantes. »
Comment faire en sorte que cet encadrement évolue aussi ?
« La clé du succès réside dans la concertation permanente avec l’ensemble des parties prenantes. La Commission de Médecine Personnalisée (ComPerMed) en est un excellent exemple. Il est primordial qu’un gouvernement sache ce qui se passe réellement sur le terrain. Et inversement, il est utile que le secteur ait une vision plus large des défis auxquels les décideurs politiques font face. La compréhension mutuelle est la base d’une véritable cocréation et de meilleures solutions. »