Pr Cavalier : « La médecine de laboratoire est un investissement essentiel pour des soins de qualité »
Lors d’EuroMedLab 2025, nous avons parlé avec Etienne Cavalier, professeur de chimie clinique à l’Université de Liège, chef du service de chimie clinique au CHU de Liège et président de la Royal Belgian Society of Laboratory Medicine. Quelles mesures prendrait-il en matière de médecine de laboratoire s’il était ministre fédéral de la Santé ?
« Ma priorité absolue serait de garantir un accès plus rapide aux nouveaux tests à forte valeur ajoutée. Actuellement, il faut souvent des années avant qu’un remboursement soit accordé — si tant est qu’il le soit un jour. Par exemple, les tests NT-proBNP et BNP ne sont toujours pas remboursés en Belgique, alors qu’ils figurent dans toutes les recommandations. Ce délai excessif est préjudiciable pour le patient belge. »
Retombées économiques
Comme le professeur Mario Plebani (*), le professeur Cavalier est convaincu qu’il ne s’agit pas d’un problème de budget.
(*) À l’occasion d’EuroMedLab 2025, nous avons également rencontré le professeur Mario Plebani, président de la European Federation of Clinical Chemistry and Laboratory Medicine. Lire l’interview ICI.
« Tout d’abord, de nombreux nouveaux tests permettent en réalité des économies. À court terme, en remplaçant des procédures plus coûteuses et souvent invasives. Et à plus long terme, en réduisant les besoins en soins grâce à une meilleure détection. Malheureusement, ces effets ne sont pas pris en compte dans l’évaluation du remboursement. »
« Par ailleurs, certains tests encore remboursés aujourd’hui ont une valeur clinique limitée. Et pour certains, on pourrait réduire la fréquence de prescription. Cela libérerait également un espace budgétaire pour intégrer de nouveaux tests. », poursuit le professeur Cavalier.
Expertise des professionnels du laboratoire
Mais la médecine de laboratoire ne se limite bien sûr pas aux seuls tests. L’expertise des professionnels du laboratoire est tout aussi essentielle. Si le professeur Cavalier était ministre de la Santé, il ferait de la valorisation de cette expertise sa deuxième priorité.
« Les laboratoires ont un rôle crucial à jouer dans des domaines comme la détection précoce et la stratification des risques. Mais nous assumons trop peu ce rôle de spécialiste — ou bien on ne nous en donne pas suffisamment l’occasion. »
« En tant qu’experts de laboratoire, nous devrions être associés aux discussions avec les autres spécialistes cliniques impliqués dans les parcours de soins interdisciplinaires. »
« Nous produisons parfois des résultats de tests qui, malheureusement, sont trop peu exploités par la suite. Ce sont des occasions manquées d’améliorer les soins au patient. En tant qu’experts de laboratoire, nous devrions être associés aux discussions avec les autres spécialistes cliniques impliqués dans les parcours de soins interdisciplinaires. »
« Cela exige un changement de regard sur la médecine de laboratoire. Trop d’acteurs continuent de considérer notre discipline uniquement comme un coût, alors qu’un bon diagnostic est en réalité un investissement dans des soins de qualité, centrés /fondés sur la valeur. »
Monsieur Poels, la semaine dernière, nous avons conclu sur la charge administrative que représente l'IVDR pour les entreprises. Plus d'administration signifie également des coûts plus élevés pour ces entreprises. L’AFMPS le constate-t-il ?
La transition vers la nouvelle législation ne doit en effet pas être sous-estimée pour les entreprises du secteur des DIV. Pour les entreprises de dispositifs médicaux (MD), la réglementation a également changé avec l'arrivée du règlement sur les dispositifs médicaux (MDR), mais les modifications sont moins radicales que celles prévues par l'IVDR.
« Les entreprises du secteur des DIV sont souvent des PME qui ne disposent pas de moyens considérables. »
En reportant l'entrée en vigueur de l'IVDR et en prévoyant des périodes de transition supplémentaires, l'Europe souhaite donner à toutes les parties prenantes concernées suffisamment de temps pour se mettre en conformité.
La pression sur les entreprises du secteur des DIV reste toutefois réelle. Le renforcement des exigences en matière de preuves cliniques et les contrôles effectués par les organismes notifiés et, éventuellement, par les laboratoires de référence européens entraîneront inévitablement une augmentation des coûts pour les entreprises. Nous entendons donc que les fabricants de DIV évaluent de manière critique leur portefeuille de produits : quels produits souhaitent-ils « transférer » vers le cadre de l'IVDR et lesquels souhaitent-ils abandonner ?
Le renforcement de l'IVDR rend inévitablement l'innovation encore plus coûteuse qu'elle ne l'était déjà. Craignez-vous que l'IVDR freine l'innovation ?
C'est difficile à prédire aujourd'hui, mais j'espère que non. En tout état de cause, l'Europe ne veut pas en arriver là et a créé un groupe de travail chargé d'accélérer les procédures relatives aux « innovations de rupture ».
En tant qu'autorité très appréciée au sein de l'UE, l'AFMPS participe pleinement à cette initiative.
L'AFMPS est en effet une marque internationale forte en Europe. Cela ressort clairement du rôle très actif que vous jouez, entre autres, au sein du Medical Device Coordination Group (MDCG).
Notre administration est en effet très active, et ce dans les 13 groupes de travail du MDCG. Ces groupes de travail traitent tous les aspects pertinents pour la mise en œuvre de l'IVDR et du MDR, tels que la notification et le contrôle des organismes notifiés, la vigilance, le contrôle du marché, les études cliniques et de performance, etc.
« Les autorités compétentes d'autres États membres font régulièrement appel à l'expertise belge en matière de DIV. »
Un groupe de travail se concentre spécifiquement sur l'interprétation et la mise en œuvre homogènes des DIV , et conseille les 12 autres groupes sur des sujets spécifiques aux DIV. Depuis 2022, ce groupe DIV a publié pas moins de 16 documents d'orientation. En collaboration avec l'AFMPS, nous avons contribué à chacun de ces 16 documents, souvent en tant que chef de file. Les autorités compétentes des autres États membres de l'UE reconnaissent cette expertise et sollicitent régulièrement notre avis sur des sujets liés aux DIV.
J'ai d'ailleurs récemment été nommé coprésident du groupe de travail sur les DIV orphelins, qui sont des tests destinés à un très petit groupe de patients. Avec ce groupe de travail, nous examinons comment rendre les DIV orphelins plus facilement et plus rapidement disponibles en Europe.
Nous avons déjà longuement évoqué la pression supplémentaire que l'IVDR impose aux entreprises. Qu'en est-il de la pression sur votre administration ?
La base de données EUDAMED devrait à terme nous aider à alléger une partie de la charge administrative, mais ce n'est pas encore le cas aujourd'hui. Entre-temps, de nombreuses tâches ont été élargies et nous en avons reçu de nouvelles. Donc oui, l'IVDR entraîne également une pression supplémentaire pour nous, surtout à court terme.
Dans le même temps, il y a des signes positifs importants. On a longtemps craint, à juste titre, que la capacité des organismes notifiés ne soit pas suffisante pour l'IVDR, le nombre de DIV devant faire l'objet d'une évaluation de conformité étant passé de 20 à 80 % (voir également la première partie de l'interview). Mais ce problème semble se résoudre.
Sur les 17 organismes notifiés pour l'IVDR, seuls deux ne prennent plus de nouveaux clients, selon une enquête récente. L'avant-dernier organisme notifié à figurer sur la liste est SGS Belgium. Notre pays dispose donc désormais d'un organisme notifié pour l'IVDR, ce qui est évidemment une bonne nouvelle pour les fabricants belges !
Nous constatons également une augmentation du nombre de demandes d'études de performance. Il s'agit souvent d'études combinées avec un médicament. Le test DIV sert alors à sélectionner les patients pour l'essai et peut être commercialisé ultérieurement comme diagnostic compagnon. Un grand projet européen, COMBINE, est actuellement en cours afin de simplifier et d'harmoniser les demandes d'études combinées.
Ces signaux sont très importants. Après tout, l'IVDR doit être une réussite.
Absolument, en premier lieu pour les patients et la santé publique.
Les avantages potentiels de l'IVDR pour les patients sont évidents :Plus les tests de diagnostic in vitro sont fiables et efficaces, plus ils bénéficient au patient . Et grâce à une meilleure traçabilité, les dispositifs posant problème peuvent être localisés de manière très précise.
« Plus les tests de diagnostic in vitro sont fiables et efficaces, plus ils bénéficient au patient»
Toutes les mesures prévues par l'IVDR y contribuent plus ou moins grandement. Il est inévitable qu'un changement réglementaire d'une telle ampleur soulève de nombreuses questions. Mais celles-ci ne doivent pas remettre en cause l'ensemble de la réforme.
Il est important d'évaluer l'IVDR de manière continue et rigoureuse et d'oser l'ajuster si nécessaire : que peut-on simplifier, quelles exigences offrent trop peu de valeur ajoutée et peuvent donc être modifiées ou supprimées, etc. L'Europe recherche activement ce retour d'information. Ainsi, une consultation publique des parties prenantes sur l'IVDR et le MDR s'est achevée fin mars et ses résultats sont actuellement en cours d'analyse. Nous continuons également à recueillir les commentaires des parties prenantes concernées en Belgique par l'intermédiaire de l'AFMPS.
Le règlement européen sur les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, ou IVDR, est applicable depuis le 26 mai 2022. Il remplace la directive sur les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (IVDD). Son objectif ? Améliorer la sécurité et la qualité des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (DIV), renforcer la transparence et la traçabilité des DIV et harmoniser la mise en œuvre de la législation au sein de l'Union Européenne (UE)
Dans une interview en deux parties, Jeroen Poels décortique l'IVDR. Il est expert en dispositifs médicaux pour le diagnostic in vitro à l'Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS), qui veille à la sécurité, à la qualité et à l'efficacité des dispositifs médicaux sur le marché belge.
Monsieur Poels, commençons par le commencement. Pourquoi fallait-il remplacer la directive IVDD ?
L'IVDD datait de 1998, à une époque où les possibilités diagnostiques étaient beaucoup plus limitées qu'aujourd'hui. À l'époque, par exemple, les tests génétiques, les tests au chevet du patient (point of care tests ou POCT), les logiciels DIV, etc. n'existaient pratiquement pas. Afin de cadrer correctement toutes ces nouvelles possibilités diagnostiques, souvent complexes, et d'anticiper l’apparition de nouveaux tests diagnostiques, la réglementation devait être entièrement repensée.
Lors de l'élaboration d'un nouveau cadre, l'Europe a délibérément opté pour un règlement plutôt qu'une directive. Une directive peut être transposée dans la législation nationale de chaque État membre. Cela offre une certaine flexibilité. Cependant, les défis liés à la sécurité et à la qualité des dispositifs médicaux de diagnostic dépassent les frontières nationales, d’où le choix d'un règlement, qui doit être appliqué de manière quasi identique par tous les États membres.
Quelles sont les principales nouveautés par rapport à la directive IVDD ?
L'IVDR compte 160 pages, contre 37 pour l'IVDD. Les différences sont donc nombreuses. Les plus importantes concernent les exigences auxquelles doivent satisfaire les DIV et leur contrôle.
Auparavant, sous l'IVDD, un nombre limité de DIV étaient classés comme « à haut risque ». Il s'agissait par exemple des tests de dépistage du VIH ou de l'hépatite. Ces DIV devaient faire l'objet d'une évaluation de conformité par un organisme notifié – cela concernait environ 20 % de tous les DIV – avant de pouvoir être mis sur le marché. Pour les 80 % restants, une auto certification par le fabricant suffisait.
« Auparavant, 20 % de tous les DIV devaient être contrôlés par un organisme notifié, contre 80 % aujourd'hui. »
Dans le cadre de l’IVDR, tous les DIV ont reçu une classe de risque (de faible à élevée, de A à D) et le rapport s'est inversé : environ 80 % de tous les DIV doivent désormais être contrôlés par un organisme notifié, contre 20 % auparavant. Seuls les DIV non stériles de classe A peuvent encore faire l'objet d'une autocertification, par exemple les réactifs de couleur.
Les évaluations de conformité sont également plus strictes, tout comme la surveillance des organismes notifiés qui les effectuent. Pour les DIV à haut risque, il existe désormais des acteurs supplémentaires qui participent à l'évaluation de la conformité, tels que le comité d'experts en DIV et les laboratoires de référence européens. Leur expertise est un atout important.
Concrètement, qu'implique une évaluation de conformité plus stricte ?
Les exigences en matière de sécurité des produits, d'identification et de traçabilité ont été considérablement renforcées. La barre est également placée beaucoup plus haut en termes de performances. Avant qu'un DIV puisse être mis sur le marché, il faut désormais fournir beaucoup plus de preuves cliniques de l'efficacité du dispositif.
Sous l'IVDD, une déclaration du fabricant indiquant qu'une étude de performance serait réalisée suffisait. L'IVDR impose une charge de la preuve beaucoup plus importante, en particulier pour les études présentant un risque plus élevé pour les patients participants.
Toute personne souhaitant mener une telle étude doit en outre obtenir l’accord préalable d’un comité d’éthique et de l’autorité compétente.
« Un projet pilote européen visant à simplifier la procédure de demande pour les études multinationales a récemment été lancé. »
Parallèlement, l'Europe cherche des moyens de réduire la charge administrative. Dans ce contexte, un projet pilote a récemment été lancé, dans le cadre duquel les promoteurs qui souhaitent mener une étude dans plusieurs États membres pourront introduire une demande unique. L'évaluation de cette demande sera coordonnée sous la direction d'une seule autorité compétente, plutôt que par chaque État membre séparément.
En matière de charge administrative, MedTech Europe met en garde contre les difficultés que ces exigences supplémentaires font peser sur les entreprises, qui risquent de rendre certains DIVindisponibles dans l'UE. En Belgique, nous ne constatons pour l'instant aucun problème, mais nous surveillons la situation rigoureusement. Quel est le point de vue de l'AFMPS à ce sujet ?
En tant que pouvoirs publics, nous sommes bien conscients des risques potentiels et suivons la situation de près. L’UE en est également consciente. C'est pourquoi elle a par exemple prolongé les périodes de transition pour les DIV déjà commercialisés sous la directive IVDD. Afin d'avoir une meilleure vue d'ensemble des pénuries éventuelles, elle a récemment introduit l'obligation pour les fabricants de signaler à l'avance aux autorités et aux clients les pénuries prévues de dispositifs médicaux importants.
En Belgique, nous ne constatons effectivement aucun problème urgent. À l'heure actuelle, nous n'avons connaissance que d'un test de dépistage de la syphilis important, fabriqué par une entreprise asiatique, qui ne sera plus commercialisé en Europe. Mais la Belgique est avant tout un pays de distribution : les fabricants de DIV sont principalement actifs dans d'autres pays. Par conséquent, nous ne sommes généralement pas les premiers informés lorsqu'un fabricant décide d'arrêter la production d'un test.
Notre appel à beMedTech et à vos membres est donc clair : si vous sentez que quelque chose se prépare, avant que cela ne devienne un véritable problème, n'hésitez pas à nous en faire part. Nous mettrons alors tout en œuvre pour trouver des solutions ensemble.
C'est comme pour les problèmes de santé : plus on intervient tôt, plus on a de chances d'éviter une aggravation. Vos membres sont les oreilles dont nous avons besoin pour détecter les problèmes potentiels le plus tôt possible.
À l’occasion d’EuroMedLab 2025, nous avons rencontré le professeur Mario Plebani, une autorité internationale en matière de médecine de laboratoire et président de l’EFLM. Grâce à une série de publications scientifiques, il est devenu ces dernières années l’un des principaux défenseurs de la value-based laboratory medicine.
Professeur Plebani, le concept de soins de santé fondés sur la valeur connaît un succès croissant à l’échelle internationale. Comment la médecine de laboratoire s’inscrit-elle dans cette évolution ?
La médecine de laboratoire est au cœur même des soins de santé fondés sur la value based healthcare. Pourtant, ce n’est pas encore perçu ainsi. Beaucoup — y compris parmi les décideurs politiques — considèrent notre discipline comme une activité purement technique, confinée en coulisses. Et pourtant, nous intervenons dans presque tous les parcours de soins : du dépistage au diagnostic, jusqu’au traitement et au suivi.
Comment expliquer alors que notre rôle soit encore si souvent sous-estimé ou oublié ?
Cela tient en grande partie à notre invisibilité physique. Nous travaillons dans des laboratoires, loin des soins cliniques visibles. Les patients ne nous voient pas. Même de nombreux confrères médecins ne nous voient pas réellement. Ils consultent les résultats d’analyse, sans toujours reconnaître l’expertise nécessaire pour les produire.
Vous dites parfois que vous et vos collègues devez « sortir de votre silo »…
En effet. Il faut donner un visage à la médecine de laboratoire, et cela passe nécessairement par une meilleure communication avec les médecins, les patients et les décideurs.
Notre état d’esprit doit également évoluer.
Pendant longtemps, nous avons concentré nos efforts sur le délai de réponse et le coût par test. Cela a pu donner l’impression, à tort, que nous n’étions qu’une unité de production déconnectée des soins. Bien sûr, cette approche nous a permis de gagner en efficacité. Mais l’efficacité n’est qu’une partie de l’équation.
Il est grand temps de passer à l’étape suivante : mettre davantage l’accent sur la qualité et l’impact, plutôt que sur le volume et le coût. Voilà l’essence même de la based laboratory medicine.
Quelle est votre responsabilité, en tant que secteur, dans cette transformation ?
Cela commence par une prise de conscience plus forte de notre propre rôle. Oui, une part de notre travail est technique. Mais notre responsabilité ne s’arrête pas à la livraison de résultats bruts. Il s’agit de transformer les données en informations cliniquement pertinentes pour les équipes soignantes, de les intégrer dans la prise de décision, d’accompagner les parcours patients avec des données longitudinales, de créer des liens avec d’autres disciplines…
Prenez l’exemple des patients atteints d’insuffisance cardiaque. Les dosages sanguins des peptides natriurétiques (tels que NT-proBNP et proBNP, ndlr) pourraient permettre d’éviter un grand nombre d'investigations supplémentaires moins utiles. Mais leur interprétation requiert une expertise particulière.
Cela signifie que nous devons pleinement assumer un rôle clinique dans ce parcours de soins, au-delà d’un simple appui en arrière-plan.
Certains craignent toutefois qu’un rôle renforcé de la médecine de laboratoire n’entraîne une hausse du nombre de tests — et donc des coûts. Que répondez-vous à cela ?
Je comprends cette crainte, mais elle n’est pas fondée.
Il ne s’agit pas d’augmenter les budgets de la santé, mais de les utiliser autrement.
Actuellement, le financement des soins repose presque partout sur une logique de soins curatifs, plutôt que de prévention. On se concentre sur la fin du parcours, sur le traitement des maladies. Le début du continuum — comprendre comment les maladies apparaissent et comment les prévenir ou en retarder l’évolution — reste trop négligé.
Et pourtant, l’offre de soins actuelle ne peut pas absorber le flux constant de nouveaux patients nécessitant des traitements coûteux. Attention, il ne s’agit pas d’opposer curatif et préventif. Les soins curatifs restent essentiels. Mais nous devons intervenir plus tôt dans le processus.
Quel rôle la médecine de laboratoire peut-elle jouer dans ce cadre ?
Un rôle multiple. Nous pouvons contribuer à réduire l’afflux de nouveaux patients grâce au diagnostic préventif, détecter les maladies plus précocement grâce au dépistage, et améliorer le ciblage des traitements personnalisés grâce aux tests compagnons, entre autres.
Tout cela nécessite évidemment des ressources, mais ce n’est pas un « coût » : c’est un investissement. Selon moi, investir dans la value-based laboratory medicine est indispensable à la durabilité des systèmes de santé.
Le vrai obstacle aujourd’hui est que nous avons encore du mal à rémunérer la qualité plutôt que le volume. Trop de laboratoires sont encore « récompensés » en fonction du nombre de tests réalisés, indépendamment de leur pertinence.
Tant que ce modèle perdure, il sera difficile de généraliser la value-based laboratory medicine.
Que faut-il faire pour sortir de cette impasse ?
Une des clés majeures est une meilleure utilisation des données.
Nous collectons d’énormes quantités de données dans les soins de santé. Ces données sont cruciales pour la prise en charge des patients, la recherche scientifique… mais aussi pour orienter les politiques de santé, notamment en matière de financement.
Si nous voulons positionner la médecine de laboratoire comme levier stratégique pour le value based healthcare, il faut lier systématiquement les résultats de tests à des indicateurs de valeur. Un test réduit-il le risque de complications ? Diminue-t-il le nombre de réhospitalisations ? En collectant et croisant ces informations, nous pouvons documenter l’impact réel des tests et alimenter des décisions politiques fondées.
Les initiatives visant à mieux exploiter les données de santé vont donc de pair avec la transition vers une médecine de laboratoire axée sur la valeur ?
Les avancées fulgurantes dans le domaine de l’intelligence artificielle et des données de santé créent en tout cas un véritable élan pour la value-based laboratory medicine , et plus largement pour une approche value based heatlhcare. C’est indéniable. Sans ces technologies, il serait extrêmement difficile de collecter et de traiter les données à la vitesse nécessaire.
Je citerais volontiers l'exemple des valeurs de référence.
Les résultats d’analyse sont souvent interprétés en les comparant à des valeurs de référence établies sur une population générale — autrement dit, comment les résultats d’un patient donné se situent-ils par rapport à la moyenne. Il est toutefois bien plus pertinent, sur le plan clinique, de comparer les valeurs d’un patient à ses propres valeurs antérieures. Cela permet d’obtenir une image beaucoup plus précise et cliniquement exploitable. Mais pour pouvoir réaliser ce type d’analyse, il faut disposer de mesures répétées, fiables et de qualité pour ce patient, ainsi que d’un logiciel capable de traiter ce volume de données de manière robuste.
D’autres évolutions technologiques soutiennent également la transition vers une médecine axée sur la valeur.
Je pense notamment aux tests de diagnostic point-of-care, qui sont réalisés au chevet du patient, en dehors du laboratoire. Leur accessibilité est bien plus grande et ils permettent d’obtenir des résultats rapidement, ce qui aide le clinicien à orienter plus vite le patient vers le parcours de soins approprié.
Ce type de tests décentralisés constitue un complément précieux aux analyses centralisées, à condition bien entendu que leur qualité soit garantie — un impératif qui vaut pour tout type de test.
Est-ce donc simplement une question de temps avant que les systèmes de soins fondés sur la valeur s’imposent ?
J’aimerais pouvoir répondre « oui » à cette question… mais il faut rester nuancé (sourit).
La technologie seule ne suffira pas. Ce dont nous avons le plus besoin, c’est d’un large soutien, de la part des décideurs politiques mais aussi de tous les acteurs de la santé. Il faut prendre conscience qu’évoluer vers de la value-based laboratory medicine, et plus largement vers de la value-based healthcare, n’est pas une option. C’est une nécessité si nous voulons garantir à nos enfants et petits-enfants l’accès à des soins de qualité, abordables.
Quel message souhaitez-vous adresser en conclusion aux décideurs politiques ?
Avant tout, prenez conscience que la médecine de laboratoire n’est pas un service technique, mais une véritable discipline clinique. Un rôle qui ne peut plus être dissocié de la pathologie et de la radiologie, les deux autres piliers du diagnostic. Pour une prise en charge optimale des patients, il est essentiel de sortir des silos et de constituer des équipes diagnostiques intégrées.
Et enfin — c’est fondamental — associez-nous à l’élaboration des politiques de santé. Nous avons les données et l’expertise pour accélérer la transition vers des soins fondés sur la valeur. Mais nous ne pourrons jouer ce rôle qu’en étant présents autour de la table.
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